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La tyrannie du mérite

La tyrannie du mérite

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Le professeur de philosophie politique à Harvard, Michael Sandel, publie La tyrannie du mérite. Il y a selon lui une hubris chez ceux qui réussissent et un ressentiment pour ceux qui échouent, deux états distincts provoqués par la méritocratie. Une sorte de lutte de chacun contre tous est consacrée par le libéralisme au sein de nos démocraties occidentales. Cela occasionne d’intolérables disparités sociales. En fait, à l’instar de Yasha Munk professeur à la John Hopkins University de Baltimore dont nous avions commenté les écrits sur Mauvaise Nouvelle, l’auteur a un tropisme de gauche. Il considère la structure des classes sociales comme un biais par lequel l’égalité des chances s’avère impossible aux Etats-Unis, et il fustige par ailleurs le populisme qu’il voit teinté de racisme, de xénophobie et de nationalisme. Nos deux éminents intellectuels sont typiques du bloc élitaire américain, si semblable au français, qui toise la légitime révolte des peuples qui ne veulent pas mourir dans le grand maelström de la globalisation. On se souvient d’Hillary Clinton pendant la campagne présidentielle américaine de 2017 taxant de « basket of deplorables » (panier de déplorables) les électeurs de Donald Trump. Ce cynisme, confinant au mépris, est un des marqueurs de l’incapacité des élites à traiter les grands problèmes contemporains : gigantesques migrations, islamisation galopante de régions occidentales, paupérisation et délitement des classes moyennes, montée des insécurités culturelle, sociale et économique, peur de disparaître en tant que civilisation.

Dans le pays marchand et protestant de Sandel, l’Amérique, il est un fait que la sélection s’effectue grâce à l’étalon du dollar qui règne en maître absolu. Le postulat méritocratique, consubstantiel de la sélection par l’argent, est selon l’auteur profondément destructeur pour la société américaine en ce qu’il procède d’une vision providentialiste puritaine incarnée jusqu’à la caricature par les télévangélistes : « si vous êtes riche, c’est que Dieu l’a voulu ainsi, que vous le méritez, que vous le valez bien. Si vous êtes pauvre, c’est que vous méritez cela, c’est ainsi ». Dans les deux cas, votre seul mérite vous a assigné la condition qui vous incombe : la richesse ou la pauvreté. Les études menées au pays de l’Oncle Sam démontreraient le mauvais fonctionnement de l’ascenseur social, bien plus grippé semble-t-il qu’en Europe ou même en Chine.

D’autre part, la mondialisation et sa destruction d’emplois ont accrédité l’idée que la société n’accorde pas le même respect aux métiers de la classe laborieuse. Les élites pensent, grâce au principe schumpétérien de destruction créatrice, qu’il fallait sacrifier les classes populaires occidentales afin que les flux globalisés profitent à tous les peuples.  Nombre d’entre eux auraient ainsi pu sortir de la grande misère (plus d’1 milliard de personnes, lit-on souvent, ce qui n’est certes pas rien). A cet argument macroéconomique qui oublie simplement que l’Histoire est tragique et ne se résume pas à l’économisme, s’ajoute un élément sur lequel nous avons déjà écrit : le déséquilibre engendré par la prédominance donnée aux activités de la Tête par rapport à celles du Cœur et de la Main (voir l’ouvrage éponyme de David Goodhart). Sandel montre bien d’ailleurs que le terme « intelligent », depuis Georges W. Bush et ses « voitures intelligentes », « autoroutes intelligentes », « armes intelligentes », « écoles intelligentes », a fait flores dans la rhétorique de tous les présidents suivants, consacrant le primat de la Tête, au détriment du Cœur et de la Main, afin de favoriser la réussite individuelle des vainqueurs de la mondialisation. Notons en passant que les classes privilégiées sont à leur tour rattrapées par l’acharnée compétition tous azimuts, à l’image des ingénieurs occidentaux de plus en plus remplacés par leurs homologues indiens par exemple. Si la tendance se confirme, il pourrait y avoir alors un grand impact politique car nous serions en présence d’un déclassement généralisée à la fois des cols bleus et des cols blancs. Situation inédite et éminemment explosive.

L’auteur critique les gouvernements technocratiques, jugés fondamentalement viciés, qui entraînent « des formes autoritaire d’identité et d’appartenance, que ce soit sous la forme d’un fondamentalisme religieux ou sous les aspects d’un nationalisme strident. » Sandel, en homme de gauche membre du Camp du Bien, ne dit jamais rien de l’immigration en tant que cause des radicalisations populistes, religieuses (on imagine qu’il s’agit pour lui de protestantisme) ou nationalistes.

L’impensé de ce livre intéressant est donc le choc des civilisations qui a été théorisé par Samuel Huntington. Ce choc cataclysmique est pourtant bien à l’œuvre dans le monde actuel. Constater l’échec de la vision optimiste de Francis Fukuyama et sa théorie de la Fin de l’Histoire n’est pas suffisant. Si les démocraties libérales ne sont pas ce paradis qu’elles imaginaient devenir après la chute du mur de Berlin en 1989, elles ne le doivent qu’à elles-mêmes ; au logiciel qui est le leur et qui postule l’universalisme et la générosité dans l’accueil inconditionnel de l’Autre. Une pure folie sacrifiant un modèle civilisationnel patiemment forgé par les siècles. Cette vision idéologique à la fois naïve et coupable pensait s’affranchir de ce qui caractérise l’homme dans toutes les époques : la violence, le rapport de forces, le désir de domination.

La question est donc plus que jamais la suivante : choisit-on de préserver les valeurs chrétiennes et humanistes, le modèle de vie européen, occidental, ou poursuit-on la déconstruction entamée depuis les années 1960 en choisissant le multiculturalisme, sa dynamique d’atomisation des individus et des communautés. Si par sursaut, nous options pour la première hypothèse, les remèdes à prendre seraient les suivants : arrêt de l’immigration débridée, assimilation des communautés en les acculturant aux mœurs françaises, restauration de l’autorité de l’Etat, cantonnement des juges à être « les bouches de la Loi » comme les y invitait Montesquieu, retour à la préférence nationale et réaffirmation de la souveraineté contre la technostructure européenne. Pour cela, il faudrait un leader populiste, intelligent, connaisseur de la France, conservateur, étatiste et modérément libéral, souverainiste, viscéralement attaché  à l’histoire de notre pays. Tout cela réuni en une seule personne et ce, dès les prochaines élections de 2022. Il faut donc l’exact opposé de Macron. Eric Zemmour ?


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